
Depuis trois ans, la commune de Saint-Julien-en-Genevois travaille à la mise en place d’un réseau de chaleur urbain alimenté principalement par une chaufferie collective. Sur le papier, il s’agit d’un équipement qui coche toutes les cases d’un projet moderne : énergie renouvelable, décarbonation, sécurisation énergétique, anticipation des besoins futurs.
Pourtant, en y regardant de plus près, le déroulement et le contenu du projet laissent apparaître une longue liste d’interrogations, de revirements et de zones d’ombre.
Une gouvernance loin des promesses initiales
La majorité municipale avait mis en avant, dès sa campagne, un mode de gouvernance fondé sur la collégialité, la participation citoyenne et l’ouverture des décisions importantes à la population.
Or, le suivi du dossier du réseau de chaleur montre un tout autre fonctionnement.
La démarche participative s’est limitée à deux réunions publiques d’information, organisées tardivement, où les choix étaient déjà largement fixés.
Aucun atelier, aucun groupe de travail, aucune consultation écrite, aucun bilan de concertation : l’implication citoyenne se résume à écouter des présentations PowerPoint, sans pouvoir peser réellement sur les orientations.
Une implantation contestable et une intégration urbaine problématique
Le choix du site pour la chaufferie, dans la zone des Marais, appelle-lui aussi à la prudence.
Le terrain se trouve au pied d’une butte, ce qui impose l’installation d’une cheminée très haute pour garantir la dispersion des fumées. Une telle structure aura un impact visuel indéniable.
Un tracé incertain, évolutif, et de plus en plus intrusif
Les premiers documents techniques, en 2024, affirmaient clairement que certains axes étaient impossibles à emprunter pour le réseau :
- la Grand-Rue,
- l’avenue de Genève.
Motif : accumulation de réseaux souterrains (eau potable, gaz, fibre, électricité haute tension), tranchées impossibles, risques techniques, coûts démesurés.
Un an plus tard, l’avenue de Genève est réapparue dans les nouvelles propositions de tracé.
Ce renversement soulève plusieurs interrogations :
- Les contraintes techniques ont-elles réellement disparu ?
- S’agit-il de concessions imposées par le dimensionnement du réseau ?
- Le public a-t-il été averti de ce changement et des risques associés ?
Cette rue est parmi les plus fréquentées de la ville. Y réaliser des tranchées profondes pour poser des canalisations de chaleur signifierait des mois de travaux, une circulation fortement perturbée, des commerces impactés et un quotidien compliqué pour les riverains.
Un budget déjà hors de contrôle
La question financière est sans doute la plus sensible.
Le projet était initialement estimé à un peu plus de 30 millions d’euros. Les dernières données évoquent désormais un budget d’environ 42 millions — soit près de 40 % d’augmentation — alors que les études ne sont même pas achevées.
Une telle dérive en phase préliminaire est un indicateur préoccupant. Les réseaux de chaleur, parce qu’ils demandent des infrastructures lourdes, sont connus pour accumuler des surcoûts lorsqu’ils ne sont pas précisément cadrés.
D’autant que les documents de travail évoquent une prise en charge majeure des risques financiers par :
- la commune,
- le Syane,
En clair : si les raccordements prévus ne se matérialisent pas, si les coûts augmentent, si le prix du bois flambe, ou si les économies d’échelle ne sont pas au rendez-vous, ce sont les finances locales — donc les contribuables — qui absorberont l’impact.
Une promesse de “bois local” difficile à tenir
Le discours initial vantait un fonctionnement reposant sur une ressource “locale”.
Mais les chiffres officiels ne permettent pas de soutenir cette affirmation.
Les études départementales montrent que la Haute-Savoie :
- ne produit pas assez de bois-énergie pour couvrir les chaufferies existantes et en projet,
- doit déjà importer une part importante de ses plaquettes depuis l’Ain, le Jura et la Bourgogne-Franche-Comté.
Dans ce contexte, ajouter un réseau de chaleur de grande taille dans le Genevois revient à accroître la dépendance vis-à-vis de filières externes, donc à rallonger les distances d’approvisionnement et à multiplier les livraisons par camion.
L’image du “bois issu de nos forêts” relève plus de la communication que de la réalité économique.
Le gaz d’appoint : un élément passé sous silence
Le projet inclut une chaudière d’appoint au gaz naturel, indispensable pour les pics de consommation et les périodes où le bois ne suffit pas.
Or, les projections énergétiques actuelles montrent :
- un marché du gaz à tendance structurellement baissière depuis la sortie de crise 2022–2023,
- une probable stabilisation autour de niveaux plus faibles qu’anticipé.
Si le gaz devient durablement moins cher, le modèle économique du mix “bois + gaz” pourrait perdre son avantage annoncé.
Cet élément, pourtant central, n’a presque jamais été discuté publiquement.
Un réseau peut-il fonctionner efficacement dans un tissu ancien ?
Les réseaux de chaleur ont une forte pertinence dans des quartiers neufs, denses, conçus pour être raccordés dès la construction.
À Saint-Julien, le projet mise sur un raccordement important de bâtiments existants, hétérogènes, parfois anciens, avec des copropriétés qui n’ont pas toutes manifesté leur intérêt.
Or, le taux de raccordement conditionne directement :
- la viabilité technique du réseau,
- son équilibre financier,
- la stabilité des tarifs pour les abonnés.
Rien ne garantit que les immeubles visés pourront ou voudront se raccorder. Construire un réseau dimensionné pour une demande incertaine est un pari risqué.
Conclusion : un projet ambitieux mais fragile
Le réseau de chaleur de Saint-Julien-en-Genevois est un équipement potentiellement utile et vertueux.
Mais dans sa forme actuelle, il souffre de faiblesses majeures :
- déficit de participation réelle,
- implantation sensible,
- tracé incohérent et changeant,
- dérive financière précoce,
- approvisionnement incertain,
- dépendance au gaz,
- pertinence discutable dans un tissu ancien,
- exposition importante des finances locales.
Un projet d’une telle ampleur exige de la transparence, de la rigueur et une implication forte des citoyens. À ce stade, beaucoup d’éléments essentiels restent flous, incomplets ou contradictoires.
